Maison-Fleuve, 2020

Un projet de Jonathan Macias et Caroline Melon

Bons baisers de Libourne #3 - Maison-Fleuve - 2020
Dans le cadre d'un compagnonnage De chair et d'os - Caroline Melon avec le Théâtre le Liburnia
De janvier à octobre 2020

Périodes de résidence - Libourne
du 28 au 30 janvier 2020 : résidence sensible
du 7 au 9 avril 2020 : résidence documentaire (résidence maintenue à domicile)
du 16 au 18 juin 2020 : résidence création
du 21 au 23 septembre 2020 : résidence création
du 5 au 8 octobre 2020 : résidence création

Création 
9 et 10 octobre - de 10h à 20h - Théâtre le Liburnia
Durée 1h – Entrée toutes les 15 min - à partir de 14 ans

(Création prévue initialement du 6 au 8 août 2020 pendant Fest'arts à Libourne >>>  Le festival Fest'arts étant annulé, la création aura lieu en octobre 2020.)

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C'est l'ultime volet du voyage au long cours de Bons baisers de Libourne ! Jonathan Macias et Caroline Melon ont imaginé pour l’occasion une traversée inédite du Liburnia. Un parcours en forme d’aller sans retour dans la mémoire vive de ces trois années de projet. Le lieu du théâtre devient un espace vibrant où se réinvente un rituel de la rencontre et de la séparation. Les spectateurs sont ainsi invités à s’abandonner aux multiples récits qui s’offrent à eux. Dans ce voyage sans guide, tout peut advenir. Il y est question d’arrivée et de départ, de deuil et de renaissance. Pourquoi et comment s’attache-t-on ? Quelle valeur singulière ont les objets que l’on garde ? Quel dialogue silencieux entretenons-nous avec eux ? Cette expérience immersive fait du théâtre un creuset intime. Elle nous rappelle que les œuvres comme les lieux ou les objets ont une mémoire mouvante qui habite en nous, réactivée à chaque fois qu’on les retrouve.

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Téléchargez le catalogue des objets de Maison-Fleuve :

Livret 1   /  Livret 2   /  Livret 3

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Entretien croisé de Jonathan Macias et Caroline Melon
Réalisé par Emmanuel Labails

 

 

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MAISON-FLEUVE - Récit - octobre 2020

Dès mon entrée en solo dans le vaste hall vide du Liburnia, un jeune homme me guide timidement vers un escalier dérobé. Après quelques marches, me voici projetée dans les bureaux de l’administration au premier étage du théâtre. Là, une femme me réserve un accueil chaleureux et complice. Comme souvent dans les installations de Jonathan Macias et Caroline Melon, il y aura des règles du jeu. Elle explique : le parcours de l’installation est jalonné d’objets, tous reliés aux trois années du projet Bons baisers de Libourne. « Il y en a un qui vous attend. » dit-elle. Il faudra le trouver et le conserver. D’emblée, cette dernière phrase installe un rapport magique aux objets et donne le ton. La visite commence dans le bar du théâtre. Le parcours est tracé par une étroite tablette de bois sur laquelle sont disposés les objets associés chacun à un récit imprimé sur un petit carton. La tablette suit le comptoir, traverse un pas de porte et file dans une cour, puis un jardin. Les objets se révèlent un à un tandis que d’autres, emportés par les visiteurs précédents, laissent une place vide assortie d’une fiche comportant une description et les réponses à deux questions : « Pourquoi avez-vous choisi cet objet ? » et « Que souhaiteriez-vous dire à la ville de Libourne ? ». Au moment de mon passage, l’installation a dû être déjà parcouru par plus de cent-cinquante visiteurs. De nombreux objets ont ainsi déjà disparu pour trouver une nouvelle vie auprès de nouvelles personnes. Je lis attentivement les fiches remplies par ces inconnus et je comprends peu à peu que le moment venu, je devrai à mon tour laisser une trace. Parmi les objets présents sur mon parcours, je me souviens d’un néon rose fluo. Le texte sur le carton raconte : il a été l’éclairage de la chambre de Caroline Melon et Jonathan Macias pendant toutes les résidences de Maison-Ville lorsqu’ils vivaient à vue dans les vitrines de commerces vacants de la rue Gambetta. Cette lumière rose donnait à leur chambre « une allure de vitrine d’Amsterdam où des beautés fardées s’exhibent dans des poses langoureuses ». Le ton est donné. Plus loin, une paire de chaussures vertes qui a servi aux scénographies monochromes de Maison-Ville. Puis, la nuisette noire dans laquelle le duo d’artiste a posé pour une séance photo nocturne dans la Maison Graziana. Suivent un chapelet beige, un porte-plume en bois, un étui à rouge à lèvres... Tous ces éléments constituent un kaléidoscope d’images et d’impressions. Le visiteur y reconnaît une dimension de l’histoire de chacun, et par là même de la sienne propre, activant ainsi une petite mémoire du quotidien. Les récits associés, écrits par Jonathan Macias, Caroline Melon ou des participants aux projets, évoquent tour à tour le souvenir d’une expérience vécue avec l’objet, une évocation de l’enfance, un commentaire ou une réflexion parfois un peu décalée, avec une tonalité sociale ou politique. La diversité de statuts de ces textes tour à tour documentaires, autobiographiques, imaginaires, amène du trouble et participe à introduire de l’ailleurs, du mystère, du possible, non pas pour fuir le réel mais pour mieux s’y attacher, pour l’habiter pleinement. Ces récits se présentent comme autant de "seuils" pour pénétrer un peu de l’esprit de ces trois années de projet au sein de la ville de Libourne. D’où cette impression d’être, avec tous ces fragments disparates, face à un puzzle dont la reconstitution participerait à dresser un portrait intime et fictionnel de la ville.

Au cours de l’avancée dans le jardin, les emplacements vacants sont de plus en plus nombreux. En perpétuelle transformation, l’installation se vide ainsi peu à peu de sa matérialité. Elle est dans le même temps paradoxalement vivifiée par ce dispositif qui intègre le spectateur et l’amène à y prendre une part active. Les objets emportés ne restent pas matière inerte, pétrifiés dans un statut d’archives mais retrouvent une fonction, une nouvelle destination, un nouvel attachement. Le choix de les faire circuler et non de les préserver redonne ici la vie. Pourtant, face à l’image prégnante des espaces vides et la mémoire affective qu’on projette sur ceux qui ne sont plus là, on est pris d’une certaine gravité. Ces vestiges d’une vie passée incarnent dans leur absence la fin d’un cycle, la disparition et le deuil. Ils sont le miroir de nos vies entières. L’expérience de la visite se déroule ainsi sous le dôme invisible d’une atmosphère de douce mélancolie, une sensation oscillante, précaire qui nous saisit insensiblement.

Une fois le jardin parcouru, une rampe nous guide vers l’intérieur du bâtiment, directement sur la scène du théâtre. Les rideaux rouges, les applaudissements en fond sonore, les lumières en clair-obscur : l’ambiance est soudainement plus intime, plus théâtrale, presque solennelle. Le parcours sinueux de la tablette se dirige vers les coulisses, l’arrière-scène, l’hors-champ du théâtre, et semble nous rapprocher un peu du mystère que recouvre le lieu. Les espaces sont maintenant plus exigus, moins éclairés et soudainement, comme par surprise, une jeune femme apparaît au détour d’un couloir et m’invite à prendre place sur une chaise dans une salle de stockage. Installée en vis-à-vis, elle me parle et se livre sur son parcours professionnel, son lien à cette ville, ce théâtre et ce qui s’y fabrique. Un témoignage simple qui me rapproche un peu plus de la vie de ce lieu que j’arpente depuis près d’une heure déjà. Dans ce voyage sans guide, je le sens, d’autres événements peuvent encore advenir et m’extraire de mon introspection pour revivre le rituel de la rencontre. Je reviens au monde des objets avec en tête cette préoccupation rappelée lors de cet échange impromptu : il faut en trouver un pour soi. La suite du parcours sera désormais teintée de ce dilemme qui devient peu à peu obsédant. Je repense à la place qu’occupent les objets dans mon quotidien, mon intérieur, dans mes formes d’attachement.

De la vaisselle, des cendriers, des disques vinyles, un CD, une peluche de chien, des vases et un étui à lunettes, celui d’Alban, personnage de fiction dans Maison-Ville ou des tasses à café noires d’Emmaüs qui ont servi aux équipes depuis 2018… Les objets défilent sur leur tablette qui serpente vers la sortie des coulisses, un couloir, un escalier. La plupart sont issus du projet Maison-Ville, de la vaisselle d’occasion souvent qui devait constituer une part du décor de ces performances. Les récits reviennent sur la place qui leur était réservée dans le quotidien ou dans la fiction et dessinent en creux aussi le portrait de Caroline Melon et Jonathan Macias à travers leurs réflexions et leurs souvenirs d’enfance. La suite se passe au sous-sol, dans l’antre du théâtre. Arrivée dans une salle avec soufflerie, Catherine m’accueille. C’est le même surgissement que plus haut, la même proposition : s’asseoir, enlever son masque un instant, le remettre et écouter. Il s’agit cette fois des croisières qui partent du port maritime de Libourne, de leur luxe un peu suranné et de leur décorum. Un temps suspendu réservé à la contemplation, au loisir et à la détente. Le parcours se situe maintenant littéralement sous la scène du théâtre. Je prends mon temps pour profiter de ce moment dans cet écrin insolite. Les pas d’autres visiteur.euse.s qui arpentent le plateau résonnent au-dessus de ma tête. Je me remémore d’un coup l’expérience de Maison Graziana, les bruits de vieille bâtisse qui craque et ce parcours en solitaire dans cette grande maison bourgeoise vide léguée à la ville de Libourne par la dernière héritière de cette famille d’immigrés italiens ayant fait fortune dans le ciment. J’ai enfin trouvé mon objet, ce sera une assiette creuse avec un liseré bleu délicat. Je peux maintenant amorcer la remontée dans les étages. Me voici dans une loge où m’attend Alice. Dans un recoin de cette pièce lumineuse, elle se confie. Comment est-elle arrivée à Libourne, y restera-t-elle ? Comment trouver sa place ? Pourquoi repartir ? Le témoignage est vibrant, à fleur de peau. Sur un mode très personnel, elle aborde des épisodes de sa vie, comme si on était un ami de longue date à qui l’on peut donner la parole en cadeau. Elle me raccompagne vers un escalier de secours à l’arrière du bâtiment. Quelques objets encore et c’est la fin du parcours. On est maintenant dans l’arrière-cour du Liburnia. Derrière une table, des personnes du services des Archives municipales de Libourne nous attendent. Ce sont elles qui vont enregistrer nos réponses, les consigner sur une fiche qui sera remise à terme aux archives de la ville comme l’avaient été auparavant les lettres de Maison Graziana et les livrets du script de Maison-Ville.

Un peu plus loin, un complice me confie un papier et me demande d’écrire une pensée sur une chose à laquelle je souhaite dire au revoir. Il m’installe un casque sur les oreilles et lance la chanson « Le temps qui reste » de Serge Reggiani. Un hymne à la vie bouleversant interprétée par le chanteur au soir de son existence qui me plonge dans une torpeur mélancolique. Puis, le complice m’invite à passer à la suite, entrer dans la maison réservée aux artistes en résidence au Liburnia et entrer dans une des deux chambres à l’étage. Là, nous est proposé d’écouter un entretien de Caroline Melon et Jonathan Macias autour du projet Bons baisers de Libourne. Dans chacune des deux chambres, face à un lit est accrochée une photo de l’un ou de l’autre en nuisette. Ces portraits réalisés dans l’escalier de la Villa Graziana étaient exposés dans l’installation Les soubassements de part et d’autre du Christ à la chapelle de la Miséricorde. Le duo d’artistes joue ici encore de leur goût pour le travestissement et la transgression avec cette mise en scène délicatement érotique et suggestive. Casque sur les oreilles, amusée de la situation, je les écouter évoquer leur processus de création depuis l’amorce de ce projet avec cette commande au départ : « mettre la ville en récit ». Ils parlent de sérenpidité, de contexte, de choix dramaturgiques. Les suivre un instant encore et se dire que ce n’est pas le moment. Je reprendrai le fil de cet entretien sur le site de l’association De chair et d’os comme proposé sur un papier posé à côté des écouteurs. Ne pas sortir trop vite de mon état méditatif et continuer à me laisser aller dans cette solitude vulnérable et ouverte à toutes les situations qui peuvent encore se présenter à moi. Au rez-de-chaussée, le parcours se termine sur un magnifique autel chargé de bougies et d’accumulation d’images sacrées ou non. On est invité à brûler notre papier et le voir s’envoler en fumée. Un rituel de deuil pour cette chose à laquelle on a pris le temps de réserver une pensée un peu plus tôt… Une manière aussi de liquider toutes les émotions vécues ici. Un peu plus loin, un lavabo empli d’eau bleu Klein, une cuisine saturée de plantes évoquent par touches la scénographie de Maison Graziana. Et me voici dehors livrée à moi-même après cette expérience que chaque visiteur emporte comme un petit trésor avec l’impression d’avoir partagé ici la conscience d’être vivant. Sur la route, vingt mètres plus haut, un panneau THE END nous attend avec un morceau d’Etienne Daho en boucle : Le premier jour (du reste de ma vie). Les artistes marquent ainsi la fin de ce projet. Résonnent alors des questions intimes liées au départ, au deuil, à la mémoire, au souvenir et cette phrase entendue un peu plus tôt dans l’entretien : Que reste-t-il de nous dans un lieu quand on le quitte ?

Ces rencontres avec les mémoires vivantes du projet ne sont pas les mêmes pour tous les visiteurs. Elles changent en fonction de la rotation des 10 complices qui viennent témoigner :

Chris, technicien du théâtre le Liburnia
Meggy, chargée de comunication du Liburnia
Véronique, responsable de l’accueil et de la billetterie au théâtre le Liburnia
Maylis, documentariste sonore qui a collaboré au projet Maison Graziana
Agnès, habitante de Libourne et spectatrice de Maison Graziana
Edith, habitante de Libourne et complice de Maison-Ville
Rémi, habitant de Libourne et complice de Maison-Ville
Valérie, habitante de Libourne et complice de Maison-Ville
Michel, spectateur du Liburnia
Michel, habitant de Libourne et complice de Maison-Ville
Nathalie, habitante de Libourne et complice de Maison-Ville
Catherine, habitante de Libourne et complice de Maison-Ville

 

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Une production De chair et d'os
sur une commande du Théâtre Le Liburnia
Avec le soutien de l'Iddac, Agence Culturelle de la Gironde, l'OARA, Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine et de la Drac Nouvelle-Aquitaine ainsi que des habitant.e.s de Libourne et de la Cali et les lycées Jean Monnet et Max Linder.
©Ramon Ortiz de Urbina

De chair et d'os est soutenu au fonctionnement par la Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de la Gironde.

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